La rue Mogador d'Alger
" L'Afrique du Nord
Illustrée " qui, en son étude des cités de
ce pays, décrivit tant de voies urbaines auxquelles s'intéressent
les touristes, ne pouvait négliger de donner quelque souvenir
à la rue algéroise où se trouve son propre siège,
à cette rue Mogador au silence relatif de laquelle elle se compose,
s'édite, chaque semaine, pour de là se répandre
dans la: Colonie, dans la Métropole et ailleurs.
Qu'était avant la Conquête, cette rue Mogador ? Tout simplement
un cimetière mozabite qu'en 1844, remplaça une nouvelle
nécropole à Bab-el-Oued. Sous Valée, sous Bugeaud,
la future voie Mogador porta le nom de la Montagne. Le 22 octobre 1844,
le Directeur de l'Intérieur, Comte Guyot, attribua à ce
chemin un nom évocateur de l'action militaire du prince de Joinville,
à Mogador.
Chose à remarquer, ce fut une rue " de Mogador ", que
(logiquement d'ailleurs), voulut avoir Paris, comme il eut, d'autre
part, une rue - non d'Isly - mais " de l'Isly ".
La rue accédant à la partie basse de la rue Mogador, près
du Corps d'Armée, avait nom autrefois, " rue du Marché
". Un marché se tenait en effet, jadis, sur la place d'Isly
que les Arabes dénommaient pour cette raison, " Petit-Boufarik
". L'ordonnance de cette place était alors plutôt
humble. Qui eût pu songer, à cette époque, au luxe
par exemple, du Bon-Marché actuel ! La rue du Marché depuis
1912, est devenue rue " Généraux Morris " et
par un peu banal escalier en zig-zag se prolongea jusqu'à la
rue Dupuch.
Marchands de fruits sur la
place Bugeaud
Collection R. et F.Rambert
|
Accède encore à
la rue Mogador, cette fois en sa partie médiane, la rue
Roland-de-Bussy qui, dans le passé, portait le nom
de rue des Mulets, et sous ce vocable, montait jusqu'au
Télemly, couvrant de ce fait, l'espace que devait
occuper notre
rue Levacher.
Au-delà, c'est l'accession de la rue de " la Poudrière
" qui, à l'origine, atteignait aux portes du Sahel, après
avoir longé une poudrière de laquelle la voie ascendante
tira sa dénomination. Combien lointaine était à
ce début, la création en cette rue, d'un
Cinéma Olympia, celle encore - antérieure -
d'un théâtre des Nouveautés puis d'un Casino, établis
sur l'emplacement d'une carrosserie qu'avais installée Bressy
!
Bien différente - les anciens s'en souviennent - étant
de ce qu'elle est devenue, notre rue Mogador. C'était d'abord
en sa partie inférieure, la vaste remise Picard, avec pension
pour chevaux, sur l'emplacement même du coquet Alhambra et que,
dès 1852, borda, rue d'Isly, un fondouk et un curieux café
maure disparu, il y a 25 ans. Plus haut, l'entrée de la rue Levacher
se marquait, à sa droite, d'une masse rocheuse surmontée
de maisonnettes, ensemble auquel succéda une imposante construction.
Plus haut encore, en bordure de rue Rovigo, une autre grande remise
près de laquelle passaient en leur montée pénible,
les diligences d'antan que devaient plus tard supprimer T.M.S. et autobus.
En voisinage de la rue Levacher, c'était le typique quartier
des teinturiers arabes aux bras polychromes, qu'on retrouvait régulièrement
sur le rivage de l'Agha, baignant leurs multiples laines colorées.
Et c'étaient aussi les pittoresques jardinets privés,
à arbres fruitiers, dont subsista longtemps un spécimen,
en surplomb de la rue Violette (primitivement, rue de la Violette).
Enfin, à l'orée de la rue Dupuch, se signalait une fontaine-abreuvoir
où vinrent se désaltérer maints chevaux du Corps
d'Armée, dont plusieurs participèrent aux expéditions
de Tunisie, du Tonkin, de Madagascar.
Rares et sans élévation furent les premières maisons
de la rue Mogador ainsi que le prouve dans " l'Illustration "
de juillet 1852, la gravure reproduisant l'inauguration de la statue
de Bugeaud, et présentant la troupe alignée en arrière,
sur le coteau que masque maintenant les constructions de cette rue.
Celles érigées de 1860 à 1870, s'offrirent plus
en hauteur.
Au sujet de ces dernières, une originalité est à
rappeler : la ressemblance dès portes d'entrée, la plupart
à grillages métalliques ornés de palmettes, d'amours,
de séraphins à viole, décor que conserve toujours
le n° 33, et que conserve aussi, rue de Tanger, le n° 7 où
naquit le baron Chassériau.
Parmi les bâtiments d'importance fut en premier lieu, en l'adjacente
rue du Marché, le Collège arabe-français (actuel
XIX° Corps) qui, créé en 1857, eut à sa tête,
le distingué orientaliste Cherbonneau, et comprit parmi ses élèves,
Ben Sedira, entré à Versailles en 1864, le professeur
Ben Brimat, accepté à Cluny en 1866. Là, furent
solennellement reçus, en 1858, le Comte et la Comtesse Randon
- en 1865, l'Empereur Napoléon III.
Aux jours de promenade, la rue Mogador vit souvent défiler les
collégiens musulmans à culotte bleue, à veste amarante
sous double croissant d'or, à rouge chéchia agrémentée
d'une longue floche.
Devenu en 1876, quartier-général de la Division avec le
Général Wolf, le monument, en 1878, fut affecté
à la résidence du Chef du XIX° Corps. Le Général
Osmont y habita dès lors. Les bureaux, la cavalerie furent du
côté Mogador.
Avec l'année 1861, se marque l'origine d'un autre monument. C'est,
le 18 mars, en présence du Directeur des Affaires civiles, Mercier-Lacombe,
la pose, par Mgr Pavy, de la première pierre du Mont-de-Piété,
édifice dont les annexes Mogador, verront pendant des lustres
et des lustres, s'entasser nombre de pièces d'art, de souvenirs
précieux qu'à l'encan, acquerront tant de spéculateurs.
Là, comme garde-magasin fut en 1873, le futur préfet et
payeur-général, Paysant, de si sympathique mémoire.
Antérieurement, en 1846, ç'avait été la
création de l'établissement des religieuses de la Doctrine
Chrétienne, s'ouvrant également, rue Roland-de-Bussy (des
Mulets) , établissement dont l'asile comprit plus tard, la légendaire
sur Florence, et le pensionnat, nombre de jeunes personnes de
l'ancienne bourgeoisie algéroise. En bordure de la rue Mogador,
fut et existe toujours la chapelle de l'institution.
Plus haut, en intersection de la rue de la Poudrière, fut une
école de Frères de la même doctrine, faisant face
à une
école laïque dont le directeur, Dordor, fut le
premier instituteur fait ici, chevalier de la Légion d'honneur
(1910). Sa classe est maintenant affectée à un commerce
d'articles d'éclairage.
Avec 1912, en novembre, c'est l'inauguration du séduisant théâtre
de l'Alhambra, de goût hispano-mauresque, où, entre autres
célébrités parurent Richepin, Cora Laparcerie,
Régina Badet, et qu'une main criminelle incendia en 1935. En
1916, c'est l'ouverture des Galeries de France, également d'inspiration
mauresque, et dont, rue Mogador ne tarda pas à s'étendre
l'harmonieuse fantaisie de ses lignes de merlons, de ses panneaux de
faïence, de ses auvents sculptés.
Bien des hôtes de cette rue eurent leur nom associé à
l'histoire d'Alger. Nous nous bornerons à mentionner (pour le
n° 45) celui du Conseiller Municipal, Sivry, mort glorieux de la
grande guerre, dont une plaque à la Mairie, évoque le
souvenir depuis 1919.
Telle fut cette rue Mogador où, centre intellectuel, centre aussi
de publicité s'installa en 1931 " L'Afrique du Nord illustrée
", laquelle, fait à noter, eut quelque temps en voisinage,
au Corps d'Armée, un centre analogue, désigné :
" l'Armée d'Afrique ", que dirigea le Commandant Libéras,
et qui initia le public à la belle et séculaire histoire
militaire de la France transméditerranéenne.